April 13, 2013

Nirankush "Ce qui est perturbant, c’est que pas grand-chose n’a changé"

Film inédit en France, qui sera diffusé le 17 avril à 19h à l'ESAV Toulouse. L'équipe du festival Saison indienne a interviewé Venu Arora, réalisatrice du film Nirankush (1997).

 Pourriez nous dire quelques mots de votre carrière, de votre métier de réalisatrice ? Quand et comment avez-vous commencé? Où vous voyez-vous aujourd’hui ? Combien de films avez-vous réalisés ? 

J'ai étudié la 'Mass Communication' au Centre de recherche en communication de masse de l’Université Jamia Milia Islamia. C’était en 1995, l'industrie télévisuelle commençait juste à s’imposer et tous mes camarades voulaient rejoindre les chaînes d'informations. Je ne voulais faire cela mais je ne savais pas non plus ce que je voulais faire de ma vie. La seule obligation majeure que je ressentis alors était d'apporter une différence, une sorte de différence dans le monde autour de moi. Lors d’un de mes voyages, j’ai été confrontée à la pratique de l'infanticide des filles au Rajasthan. La banalité de cet acte m'a bouleversée et m’a perturbée pendant longtemps à tel point que pendant mes études en master, j'ai écrit un scénario sur ce sujet. Quand j’en ai fait part à mon professeur, il a pensé que ce scénario avait du potentiel. Puis c’est tombé aux oubliettes. Ensuite, alors que je finissais mon master, mon professeur devint le patron de Film Division et m'a demandé de déposer mon scénario pour voir s’il pourrait être sélectionné. Et il le fut. Film Division accepta de produire le film. Nirankush était né.
Depuis, je gère une petite association qui travaille sur la communication pour le changement social. Et tous les films que nous avons produits ont pour but d’articuler les problèmes et les priorités des communautés avec lesquelles nous travaillons. Ce travail comprend par exemple la trilogie de « Growing Up Badhte Hum » (1998-2002) réalisée avec des adolescents sur le thème de la sexualité. « Rahein », série en 10 épisodes (2011), parle des difficultés et souffrances dues à la pauvreté, des défis de l'Inde péri-urbaine et des choix de vie. « Gaudhuli » (2008) est un documentaire sur le parcours des migrants du Népal qui viennent travailler dans la métropole indienne de Mumbai. J’ai aussi fait une série de documentaires sur les changements économiques des petites villes indiennes et comment ceux-ci ont impacté les modes de vie traditionnels.

Qu'est-ce qui vous a inspiré la réalisation de Nirankush ? Pourquoi un film sur l'infanticide des filles?
Je me considère comme féministe donc je ne pense pas que c'était quelque chose d’extraordinaire que de vouloir parler de l'infanticide des filles, une pratique qui existe encore dans plusieurs coins d'Inde. Ce qui est perturbant, c’est que pas grand-chose n’a changé et en fait, si je devais refaire Nirankush aujourd'hui, probablement que seul le décor changerait.

Souhaitez-vous partager quelques anecdotes ou expériences à propos du tournage ?
Oui, il y plein d'anecdotes à propos du tournage. C'était mon premier film en 35 mm, mon premier film avec autant d’acteurs et une si grande équipe. J’ai passé plusieurs mois à voyager au Rajasthan, à séjourner dans les villages à la recherche de « mon » village pour Nirankush. J’ai rencontré plusieurs actrices pour les rôles de Dhuli et Vaani. Deepti avait le regard vif d’une fille de la ville et ses yeux reflétaient à la fois la détermination et l’incertitude. Bhaktu était joué par un acteur francophone de Pondichéry, Somasundaram, il ne connaissait pas un mot de Hindi alors il a appris les dialogues par cœur, et les prononçait après avoir travaillé les dialectes à partir des enregistrements que j'avais faits dans les villages. L’actrice choisie pour jouer le rôle de Dai était âgée et bien connue de la grande industrie du film de Mumbai. J’ai répété avec elle pendant un mois, mais au dernier moment elle s'est retirée -un jour avant notre départ en voyage. Nous étions en panique. J’étais en larmes. Mais nous avons eu Veenaji, qui est devenue un sauveur et on a jonglé avec les plannings, et fait des allers-retours. Quand on est arrivé au village, on a réalisé que les trois microphones que nous avions loués ne fonctionnaient pas. On a alors pu remercier Hari, notre ingénieur du son, qui m’a trouvé un bon son extérieur avec seulement un seul microphone.
Nirankush a eu ce que toute bonne production doit avoir : des défis complètement imprévisibles que l’on doit simplement surmonter. Tout le film a été le fruit du travail d'une équipe forte et engagée, avec des amis qui ont travaillé très très dur sur la production.

Est-ce que vous pensez que le fait d’être femme joue un rôle en tant que réalisatrice ? Etes-vous plus sensible aux questions de féministes ou un réalisateur homme pourrait faire le même travail?
Je ne pense pas. Je pense que Nirankush entre les mains d’un homme sensible à ce problème ferait un travail aussi bon.

En Europe, on a eu des informations à propos du cas de viol à Delhi en décembre. Quel regard portez-vous sur la position et la situation des femmes en Inde aujourd’hui ? Pourriez-vous la comparer à celle d’une autre société ? Je pense que dans le monde entier les femmes doivent lutter pour leurs droits. La société indienne d'aujourd'hui est en plein changement sur des questions comme le respect de la loi, l’ordre, les dynamiques de genre et les attitudes envers les femmes, le manque de respect pour la diversité, mais aussi tous les niveaux d’exploitation et de corruption. Tous ces éléments sont des symptômes d'une société en crise. Aujourd'hui, les femmes n’ont pas beaucoup d'espaces où elles peuvent être elles-mêmes, que ce soit dans la sphère privée ou dans la sphère publique. Et au coeur de tout cela, il y a la structure de pouvoir et la violence actuelle est due à l’extension de la structure patriarcale.

Avez-vous fait des projets en Europe où en France en particulier ? Ou d’autres projets futurs ?
Ça fait des années que je pense à faire de plus grands films. Mon dernier projet en Europe était sur un atelier de scénario sur internet - EU-India Media Meeting Place- organisé par l'Institut du film Magica à Rome et Satyajit Ray Film Institute où j'ai écrit un scénario qui se déroule à Paris et à Delhi. Il a reçu le prix du meilleur scénario assorti d’un voyage tous frais payés à Rome et à Paris. J'ai rencontré des producteurs européens pour leur présenter mon scénario mais rien ne s'est concrétisé. S'il y avait des opportunités, j’aimerais faire un film en partenariat.

Nirankush sera projeté pour la première fois en France pendant le festival Saison Indienne. Qu’aimeriez-vous transmettre aux spectateurs ? Qu’auriez-vous à dire à ceux qui vont découvrir votre film ?
C'est un film qui vient du cœur. Alors regardez-le avec votre cœur !

(Donc le film sera diffusé le 17 avril à 19h à l'ESAV Toulouse)

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